Parce qu’à présent le silence m’appelle, que je ne peux plus poursuivre au-delà sans entendre cet appel, sauf si j’en sens la nécessité, il est possible que ceci soit le dernier article que j’écrive avant quelques temps. Il s’adresse à ceux qui n’ont pas encore tout à fait oublié ce qu’est le cheminement de leurs nombreuses vies, qui n’ont pas encore tout à fait oublié qu’ils sont des Chevaliers et pour qui il faut encore une dernière fois sonner les cloches en bas, dans la vallée.
Le chemin fût long et difficile et nous avons souvent mis genou à terre. L’Epée fût souvent aussi notre bâton. Comprenez ce qu’est l’Epée. Combien de fois les yeux mi-clos de fatigue, ce fût son éclat qui nous donna la force de nous relever une fois encore. Comprenez pourquoi. Selon la force de la quête menée, certains sentent encore cette lourde fatigue et se désespèrent de ne voir poindre l’image qu’ils se sont forgés de l’aube attendue, d’autres se sont habitués à bavarder en groupes bruyants, cheminant plus par habitude que par conviction et balisant leur route de toutes sortes de rituels collectifs comme d’autres vont à la messe chaque dimanche acheter leur part de paradis. Toutes ces fadaises, ces inutiles gesticulations…
La fatigue est une poussière qui se secoue et l’image que vous vous faisiez de l’apocalypse n’est que votre seule responsabilité. Tant pis pour vous si vous vous êtes créés une attente si précise qu’elle ne pouvait être satisfaite en l’état. En vérité ce qui vient, au-delà des heures les plus sombres où tout semblera perdu pour ce qui reste de l’égo apeuré, est bien plus grand et bien plus beau que vous ne l’imaginez. En vérité, tels que, vous n’allez plus nulle part, ainsi, sous vos las oripeaux poussiéreux.
Et de même on ne va nulle part par habitude, on se contente de boucler les mêmes cycles réduits de nos schémas de pensée, on erre sans se souvenir du pourquoi, dans l’éternelle insatisfaction du comment. A ceux-là je dis : où est votre courage ? Où est votre détermination ? Où est la foi qui vous a vu naître ? Faites donc silence… Souvenez-vous de qui vous êtes et pourquoi vous êtes là aujourd’hui en ce corps qui vous fût donné là où beaucoup qui en voulurent ne l’ont pas eu ! Cessez de vous plaindre, cessez de pleurer sur vous-même et de comparer vos blessures ! Cessez de nourrir la lâcheté qui s’est incrustée en vous par toutes les plaies béantes de votre égo ! Souvenez-vous de qui vous êtes et regardez-vous sans concession.
Ce dont je vous parle, c’est la quête du Chevalier, rien d’autre. Il faut une immense sincérité, une détermination sans faille et un courage à toute épreuve pour sortir de la forêt et gravir les dernières pentes arides jusqu’au sommet. Ne dites pas « oh ce n’est pas moi, je n’ai pas cette force-là ». Si ! C’est vous et si, vous l’avez cette force, vous êtes nés avec ! Les guenilles qui vous couvrent vous masquent ce que vous êtes, dégagez-vous d’elles, secouez-vous, cessez de vous cacher à vous-même et aux autres. Ces temps-là sont ailleurs, je vous l’ai déjà dit, il n’y a plus de prison, les portes sont ouvertes, mais encore faut-il oser sortir et prendre sa liberté. Mais combien ont le courage et la volonté de sortir ?
J’en vois encore qui ne courent que de stages en rituels alors que l’heure est à la récolte, caressant l’espoir plus ou moins inconscient d’atteindre le Graal, ils sont comme ces aventuriers de pacotille qui se font déposer au sommet des pics. Ayez pour eux de la compassion. Ils sont parfois riches de biens mais encore si pauvres d’eux-mêmes. Comment peuvent-ils comprendre que ce qui est là-haut n’est pas donné à celui qui n’a pas pris le temps de s’imprégner du chemin pour en capter l’essence profonde et toute la magnificence. Ceux-là ne perçoivent que la surface des choses et pensent que tout est là, qu’il n’y a rien de plus. Ils courent ainsi de sensation en sensation et passeront longtemps à côté de la vérité, ils ne boiront pas encore la coupe. Tant de choses ont été reléguées au rang de mythes et légendes pour nous éloigner de nous…
Le Graal est au-delà de toute blessure de l’égo, il est, sans être, en un lieu où le mot « liberté » prend toute la plénitude de son sens. Là où l’homme dans sa quête arrive nu de toute peur, de toute volonté propre, de tout sentiment de séparation, là où l’homme n’est plus que la vibration originelle de l’amour, ce sentiment indescriptible par les mots de fusion totale avec la Vie qui l’emplit de toutes ses pores et qu’il emplit lui-même de sa récolte tout comme l’abeille ramène le pollen à la ruche. On est là bien loin des représentations galvaudées de l’amour déclinées dans la société humaine.
Pour que l’expérience soit, tout a été dévié, perverti, inversé. Il le fallait. Ainsi, comme je l’ai déjà dit, ténèbres et lumière ont toujours joué la même partition et l’homme s’est volontairement égaré dans les méandres de ce jeu complexe tout en occupant tour à tour comme prévu tous les pupitres de l’orchestre. On ne va pas revenir sur cette histoire déjà décrite. Ce qui aujourd’hui sonne fort à nos oreilles, c’est que les temps sont venus et que la bascule est très proche. Nous vivons l’apocalypse – la révélation – comme elle fût décrite même si la plupart n’y voient rien et que d’autres en doutent encore. Il a été dit aussi qu’il y aurait beaucoup d’appelés et peu d’élus, que beaucoup au tout dernier moment renonceraient. Soit. Les choix sont faits, mais pour quelques uns qui se ressaisiront, tout n’est pas tout à fait joué. Il est encore à peine temps. Que ceux qui se sentent en revanche dépassés ne s’inquiètent pas, tout vient à maturité, il n’y a en réalité pas plus d’échec qu’il n’y a de challenge. Il y a juste que tous sans exception devront un jour voir le sommet qui termine le chemin de la densité. Il n’y a rien à forcer, ils boiront la coupe une autre fois, quand il seront prêts. Et alors ?
J’insiste, il faut une parfaite intégrité à ce point final de la quête. Il y a de la rigueur dans la légèreté de l’âme.
Nous sommes à cette heure où plus rien ne se définit, entre chien et loup. Ceux qui bavardent dans la forêt entendent déjà les tout premiers échos de leurs peurs et déjà quelques uns n’y résistent pas et les digues qu’ils n’ont pas su ouvrir rompent. Parmi eux pourtant certains entendront le message et se hâteront de faire silence et d’avancer, d’autres se blottiront les uns contre les autres et se laisseront couvrir du manteau de la peur qu’ils n’ont jamais voulu regarder dans les yeux.
La sincérité avec soi, c’est accepter de tout regarder, de tout entendre, de tout accepter de ce que l’on voit, de ne rien rejeter aux oubliettes. Nulle petite lâcheté n’est acceptable à ce point du chemin, nous devons voir parfaitement clair en nos jeux et ceux d’autrui, ne céder le pas à aucun compromis qui piétinerait d’une manière ou d’une autre notre intégrité.
Nous avons passé un cairn qui marque la dernière terre que nous foulons de ce poids, nous avons laissé en arrière nos bagages, nos armes et nos armures, nous n’avons plus que l’Epée. Comprenez ce qu’est l’Epée, voyez sa verticalité, ne vous arrêtez pas à ce qu’en a fait l’homme, n’en restez pas au sang qu’elle avait le pouvoir de verser tant qu’elle était incomprise. Elle ne souffre aucune perversion ni aucune dissimulation, elle ne souffre aucune blessure mais caresse avec une infinie compassion et un amour sans faille nos vieilles cicatrices. Elle est l’infini du Ciel et l’infini de la Terre, elle est le lien et par là-même détient le pouvoir de trancher tout lien, elle est le chemin de l’éther à la matière, elle est le sang qui transmet la vie entre les mondes, elle est pureté. Comprenez ce qu’est l’Epée…
C’est cet éclat posé sur son cœur que le Chevalier avance nu de toute peur et de toute mascarade. Je vous le dis, plus aucun mensonge n’est possible pour qui voit le sommet de la montagne. Faute de quoi son pied glissera. Alors oubliez vos éternelles distractions et vos inutiles bavardages car si l’infinie légèreté de votre âme vous amène la joie, elle vous appelle désormais à une certaine gravité. Celle du moment où l’on est au pied de l’autel de nos vies, où le genou posé n’est plus celui de l’épuisement mais celui de la reconnaissance, celle du moment où l’on se dresse l’Epée sur le cœur et que s’offre à nous la vision des sommets sur une mer de nuages. Là le Mystère est accompli, là l’équation se révèle en sa perfection, là se dessine un sourire éclairé qui traverse les nuages et plane sur la vallée.
Frères et Sœurs, comprenez ce qu’est l’Epée. Là sous la lumière du Soleil-Père l’Epée libère le Dragon, là est son Envol.
Fraternellement,